Le musée de l'Ecole de Nancy
Notre avis sur : Le musée de "l'Ecole de Nancy" | à Nancy |
Nous avons visité aujourd'hui le Musée de l'Ecole de Nancy, évènement qui mérite d'être souligné puisque c'est la première sortie de notre fille dans un musée. Une minuscule église baroque nous avait servi de galop d'essai alors qu'elle avait 25 mois, mais nous étions rapidement esquivés, car elle répertoriait en claironnant, au grand dam d'une conférencière sans cesse interrompue, les petits Jésus et les anges sculptés et peints. A ses presque 3 ans, l'expérience valait d'être renouvelée.
Le musée que nous avons choisi présente une exceptionnelle collection d'oeuvres de l'Ecole de Nancy. Le bâtiment et le jardin, appartenant à Eugène Corbin ( important mécène et collectionneur d'Art-Nouveau) ont été acquis par la ville Nancy, en 1952. Le musée a été inauguré en 1964 en vue d'exposer les fleurons de ce mouvement.
Musée de l'Ecole de Nancy ( photos du Musée de l'ecole de Nancy et de André G du blog Tours.Toulouse)
Fruit d'une étroite collaboration entre artistes, naturalistes et industriels l'Ecole de Nancy est un emblème du savoir faire lorrain. Également nommée " Alliance provinciale des industries d'art " elle a été créée en 1901 par Emile Gallé, Victor Prouvé, Louis Majorelle, Antonin Daum et Eugène Vallin.
Lorsque nous traversons Nancy, nous ne pouvions évidemment pas rester indifférent. De nombreux bâtiments Art-Nouveau nous rappellent l'importance que ce mouvement a eu pour la ville : La brasserie Excelsior, La chambre de commerce et de l'industrie, la banque Renauld, la BNP, la verrière du Crédit Lyonnais, des villas du quartier Saint-Léon, du quartier de Saurupt, ou de celui de Nancy-Thermal (parc Sainte-Marie)...
Chambre de commerce et de l'industrie Pharmacie Rosfielder - 1902 ( photos de André G du blog Tours.Toulouse)
Je m'efforce de sensibiliser notre fille quand nous passons devant ces bâtiments. Depuis lors Son jeu favori est de les repérer . Je suis toutefois interpellée inopinément par une Camille persuadée d'avoir vu de l'Art-Nouveau. Pour peu qu'ils soient ornés d'un élément végétal, tous les garde-corps ferronnés et les pierres sont rebaptisés. Roman, Gothique, Art-déco, ou architectures plus récentes... tous sont confondus.
Pharmacie Jacques, ouverte en 1903 ( photos de André G du blog Tours.Toulouse et de Naïa du blog Terre d'aile)
J'ai pensé que, malgré son jeune âge, ce musée serait une belle entrée en matière. Le thème de la nature, importante source d'inspiration à la fin du XIX ème siècle, me paraissait être accessible et motivant pour de petits enfants, un habile prétexte pour aider les plus grands, à renouer avec leur patrimoine culturel, et leur permettre de mieux connaître et identifier l'un des mouvements majeurs de l'histoire des arts.
Villa Biet dont les grilles ont été réalisées par le ferronnier Victor Prouvé en 1922, lors de sa reconstruction.
( photos de André G du blog Tours.Toulouse et de Naïa du blog Terre d'aile)
Alors comment une petite bonne femme de deux ans et demi a t'elle vécu sa première sortir au Musée?
Après un bref rappel des règles ( ne pas courir, ne pas toucher, ne pas crier), auxquelles s'ajoutent pour les adultes, celles de porter le sac à dos sur la poitrine et de ne pas photographier, nous voilà prêt à débuter notre visite!
Dès les premiers mètres, Camille me demande pourquoi nous venons voir des meubles. Elle ne comprend pas non plus qu'un boudin de velours retienne le visiteur. " J'vois pas ! " me dit elle. Le travail de marqueterie est si subtil, si précis, qu'il est tentant d'y passer la main et frustrant d'être tenus à distance. La préservation des pièces est pourtant à ce prix. Alors NON Camille... On ne peut pas toucher !
Premier coup de coeur, cette superbe étagère réalisée en 1894 par Emile Gallé. Asymétrique, son décor de fleurs de pommier en bronze, de papillons en marqueterie mais aussi la structure aux montants sculptés, rappellent de manière évidente les motifs des estampes japonaises.
Etagère " Bambou " - Emile Gallé
Depuis le milieu du XIX ème l'extrême orient est à la mode en Europe (architecture, estampes, céramique...), la plupart des artistes ne manquent pas d'y puiser l'inspiration ( voir ces deux excellents articles sur le sujet ici et là). Cet intérêt grandissant pour le Japon, nommé le japonisme bouleverse les règles de la représentation en peinture et en décoration. La perspective disparaît au profit d'aplats de couleurs, les lignes sont mises en valeurs, les contours trouvent une raison d'être et de nouveaux formats (souvent en colonnes) sont introduits.... (J'ai ici à l'esprit les affiches Art-Nouveau réalisées par Alphonse Maria Mucha ou les tableaux de Klimt). Gallé ne veut pas juste admirer, il souhaite comprendre la culture japonaise, s'en imprégner, ce à quoi l'aide un étudiant de l'Ecole forestière de Nancy ( également secrétaire du Directeur général des forêt au Japon) rencontré en 1885, Tokouso Takashima.
Observer, dessiner... cet entraînement de longue haleine relevait au Japon, d'un véritable parcours initiatique. Un jeune apprenti artiste, comme Hokusai à ses débuts, devait répéter cet exercice fastidieux : réaliser des croquis de bambous pendant plus d'un an, jusqu’à ce qu'il soit capable d’en exprimer l’âme. Il devait étudier pendant ensuite une année, le pin, en vue de traduire " sa masse et sa grandeur ", et passer encore une autre année, à représenter un prunier, ses branches entrecroisées et anguleuses, et ses fleurs délicates. ( propos recueillis sur le blog bibliotrutt et rapportés par James A. Michener: The Hokusai Sketch-Books). Alors Gallé dessine, prélève, photographie. Sa connaissance de la faune et la flore lui permet de transcrire avec une précision remarquable la " nature ".
Carpe - Hokusai | Vase " A la carpe " - Emile Gallé - 1876 émail sur verre |
Mais Emile Gallé ne se contente pas de reproduire minucieusement les sujets qui le touchent. Vases, verres, lampes, meubles,... chacune, de ses créations en témoigne. C'est son inspiration singulière qui transparait. En cela il touche du doigt l'essence du " sujet ", si chère aux artistes japonais. C'est ce que Madeleine Prouvé, dans sa bibliographie de Victor Prouvé, souligne également, en évoquant l'influence de l'art japonais sur Emile Gallé et son mari. « Ils y trouvèrent une incitation, non pas à une copie servile de la manière japonaise, mais à un renouvellement de leur vision et de leur sentiment de la nature ».
Planche 2 de l'article Polymorphisme d'aceras hircinum Lindt 1900 Croquis | Orchis purpurea Hudson par Paul Nicolas supervisé par Emile Gallé 1902 dessin aquarellé |
La ferveur de Gallé pour le Japon est si forte, qu'il collectionne méticuleusement des plantes provenant de cette île pourtant si lointaine. Il les acquiert auprès de pépiniéristes lorrains, européens ainsi qu'à l'Exposition Universelle de 1889, à Paris. On en dénombre 422. Passionné de botanique depuis son plus jeune âge, il étudie avec dévotion auprès d'Alexandre Godron ( médecin, professeur d'histoire naturelle, botaniste, phytogéographe, généticien ) dont il est l'élève au lycée impérial et ne tarde d'ailleurs pas à le remplacer en 1880, comme membre de la commission de surveillance du Jardin botanique de Nancy, avant de devenir un de ses proches collaborateurs. Il s'intéresse à la texture des fibres, à leur veinage, à leur grain, à leur teinte. Pour réaliser ses marqueteries, iI sélectionne rigoureusement, compose, assemble près de 600 essences de bois différentes, fruitiers européens, exotiques...).
Etude de narcisses - etude de ronces - Henry Bergé
Richard Owen (biologiste et paléontologue 1804- 1892), affirmait que la nature devait être la source de l’invention décorative, qu'elle ne devait pas copier scientifiquement la nature mais s'en inspirer grâce à la structure même des plantes, à la logique de leurs lignes, de leurs surfaces. C'est bien là tout le talent des artistes Art-Nouveau, rejoints très rapidement par de nombreux artisans décorateurs.
C'est le cas de Louis Majorelle.
Ébéniste, ce dernier abandonne le style Louis XV dont il réalisait des copies, pour s'associer avec plusieurs autres artistes de la future Ecole de Nancy. Il cosigne " l'Alliance provinciale des industries d'art ", et prend une orientation nouvelle. Il crée des pièces uniques, d'une part et en parallèle du mobilier de série, bon marché, qu'il fait fabriquer à partir de 1905 dans les ateliers de Bouxières, près de Nancy. Afin d'ornementer son mobilier, il développe le travail du métal. Un atelier de forge est intégré à sa manufacture pour produire des poignées, des serrures et des charnières inspirées de son travail de menuiserie. Il réalise aussi des balcons forgés, des rampes d'escalier comme celle des Galeries Lafayette, à Paris, et collabore avec Daum. pour créer des luminaires à partir de 1898. | ||
Meuble à musique - Majorelle - 1898 |
Emile Gallé par Victor Prouvé - 1893 | Louis Majorelle par Jacques Majorelle - 1902 |
Si Camille n'est pas encore en mesure de se rendre compte des innombrables heures passées pour concevoir un meuble marqueté, elle est toutefois sensible aux détails et s'est approchée de très près pour observer les papillons, les oiseaux, grenouilles, raies ou tétards... Difficile de comprendre qu'en l'absence de barrière ( ce qui était le cas pour certaines oeuvres), à nouveau, on ne peut pas toucher.
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On brûle d'envie de caresser, autrement qu'avec ses seuls yeux mais on se retiendra tout autant de s'asseoir sur la grande banquette Gallé, qui orne le couloir ! J'admire la qualité du travail et l'originalité de la composition, (même si je ne la mettrais pas dans mon salon) où l'élément floral ou animal, est omni-présent. Cela m'a permis d'instaurer un petit jeu avec Camille et de fixer son attention.
Courbes, longues arabesques, volutes, feuillages, le bois se tord, se plie, se soumet. L’avant-propos du statut de " l’Alliance Provinciale des Industries d’Art " souligne l'importance « de mettre spécialement en lumière le caractère de beauté et les avantages du décor inspiré par l’observation directe des êtres et de la vie ". Comme pour l'étagère " Bambou " le sujet détermine la forme, la structure de l'objet. La matière se met au service du sujet.
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Banquette bibliothèque Jules Vallin - 1902 Acajou blond, vitraux, bronzes, velours… | ||
Dans la pièce suivante, on ne peut non plus toucher au piano à queue décoré de pommes de pin que Louis Majorelle, a réalisé avec Victor Prouvé (qui s'est occupé de la marqueterie).
Les touches pourtant recouvertes d'un plexiglass discret, ont beaucoup tenté Camille MAIS " Au musée on peut pas toucher ! " |
Dans la dernière salle du rez-de-chaussée, un vitrail splendide attire le regard. Seul vestige d'une galerie de douze mètres, il ornait initialement une demeure nancéienne aujourd’hui disparue. Verres colorés, superposés, gravés… célèbrent la virtuosité de Jacques Grüber, maître verrier de l'École de Nancy.
Véranda dite de la Salle - Jacque Grüber - 1904
verre multicouche, verre peint, verre américain chenillé, verre américain irisé, gravure à l’acide
Nous revenons sur nos pas, au bout du couloir, toujours au rez-de chaussée, pour admirer la salle à manger, réalisée par Eugène Vallin, beau-frère d’Eugène Corbin pour Charles Masson en 1904. Camille, qui a l'esprit pratique, se demande pourquoi des assiettes ont été placées sur la table, alors que visiblement la barrière interdit de s'en approcher, et donc de déjeuner !
Salle à manger Masson - Eugène Vallin - 1904
Les efforts du conservateur pour plonger le visiteur dans l'atmosphère du XIX ème siècle manque encore un peu de réalisme. Selon ma fille, il faudrait pouvoir y proposer le repas. Mais puisqu'on ne peut pas manger, montons ! Cela tombe bien, elle voulait absolument gravir le grand escalier, une envie soudaine de faire un peu d'exercice. L'ascension est encadrée par des vitraux magnifiques, signés Grüber, comme « Luffas et nymphéas » ou « les roses » et aboutis sur un palier meublé d'une vitrine ovale et ouvragée de Jules Cayette.
Cet artiste, ferronnier, bronzier, ébéniste, sculpteur, modeleur, décorateur, élève de Victor Prouvé et d'Eugène Vallin, collabore avec la plupart des artistes de l'Ecole de Nancy. Ferronneries, poignées de portes, de fenêtres, de tiroirs, plaques de propreté, bouches de chaleur, vitrines, comptoirs, plafonniers et calices... témoignent de l'incroyable diversité de ses réalisations.
La formidable expansion des industries chimiques et sidérurgiques ( fer puis acier), au XIX ème siècle, le développement de la céramique et du verre ont offert aux artistes les matières premières nécessaires et surtout des moyens techniques de réaliser leurs créations. D'oeuvres en oeuvres, on ne se lasse pas de contempler le travail remarquable, étonnant de maîtrise, de précision et d'une originalité jamais égalée.
Vase seulette " Libellule " Emile Gallé - 1889 verre soufflé double couche, décor gravé | Coupe " Libellule " Emile Gallé - 1903 verre soufflé avec applications et inclusions |
Gallé qui s'intéresse aux insectes fossilisés ou emprisonnés dans des morceaux d'ambres ou des résines, cherche à obtenir des effets similaires en les incluant au coeur de ses verreries. Il réussit à intégrer une libellule mouchetée dans le verre d'une coupe. Toutes ses expérimentations ont contribué à diversifier les techniques ( coloration du verre dans la masse à l’aide d’oxydes, utilisation de sels métalliques, peinture à froid au pinceau, émaillage, gravure à l’acide ou à l’aide d'outils mécaniques, molettes, pointe de diamants...) à accroître les couleurs, les nuances et à développer de nouveaux procédés de fabrication ( dépôt en 1898, par Emile Gallé, de deux brevets, concernant la marqueterie de verre et la patine sur verre) .
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La richesse des matériaux utilisés est surprenante : le verre (Daum, Jacques Grüber ou Emile Gallé...), le bois (Louis Majorelle, Emile Gallé, Eugène Vallin...), la terre, le cuir, la pierre ( pierre d'Euville, grès, meulière....), la brique, le métal (fer, acier, cuivre, bronze...). On comprend que ce mouvement ait pu donner un élan nouveau à l'artisanat d'art .
Le lit que Emile Gallé, conçoit pour le mariage de son ami le magistrat Henri Hirsch est l'une de ses dernières créations. Au pied du lit, deux éphémères aux ailes de nacre, évoquant l'aube, reposent sur un l’œuf en cristal gravé d’un envol de papillons. La tête du lit illustre quant à elle, le crépuscule avec un grand sphinx sombre. Gallé décède quelques mois plus tard...
Lit Aube et crépuscule - Emile Gallé - 1904
Palissandre, ébène, nacre, verre
" C'est le lit de qui? Et on peut y dormir? " Un lit où l'on ne dort plus, voilà qui désole Camille d'autant qu'elle commence à montrer des signes d'impatience et qu'une petite sieste aurait été la bien venue ! La fontaine dans laquelle l'eau ne coule plus dans la pièce voisine, l'attriste également. Dans ces salles de l'étage, elle s'éloigne dangereusement de sa Maman et claque des pieds sur le parquet ciré. Depuis l'entrée, elle fait l'objet d'une surveillance rapprochée, talonné par les gardiens soupçonneux mais éclairés (et tout à fait agréables ce qui ne gâche rien). La visite touche à sa fin.
Sur le passage, je jette un dernier coup d'oeil à une admirable sellette aux pieds sculptés de tortues et aux montants ciselés, ornés de sauterelles. Je ne me souviens pas de ses références et je n'ai pu trouver aucune photo la représentant mais je l'aurais bien photographiée faute de pouvoir l'emporter chez moi...
Nous tenons à remercier la responsable du département Communication, du Musée de l'Ecole de Nancy, pour la confiance qu'elle nous a accordée, en nous autorisant à illustrer librement cet article. Nous remercions aussi André G du blog tours-toulouse pour les photos qu'il nous a permis d'utiliser et Jean-Claude T du blog bibliotrutt qui a éclairé nos écrits, par son excellent article sur l'art japonnais et l'Europe. Nous nous excusons auprès des experts et passionnés des aberrations, confusions que nous avons pu commettre. N'hésitez pas à nous les signaler, cet article ne demande qu'a être amélioré.
Un très beau musée, de taille humaine, parfait pour de petits enfants et qui permet de voir les pièces dans leur contexte. Les photos ne suffisent pas à transcrire la beauté des oeuvres. A visiter ABSOLUMENT !